Fooding or not Fooding ?!
Les agapes de fin d'année à peine digérées, que l'on vous reparle de remettre le couvert. Ne cultivant point le culte du "j'en ai parlé avant tout le monde", ni celui du "prenez cette ruelle peu rassurante, asseyez-vous entre le dealer et le mac pour manger le meilleur poulet rôti de l'hémisphère nord", j'ai acheté le guide Fooding 2012 fin décembre dernier, pour occuper les 04h00 de TGV me séparant de la capitale.
Ayant eu l'excellente idée de sortir le même jour que le beaujolais nouveau 2011, on doit reconnaître une stratégie de la com' sûrement trop avant-gardiste pour en comprendre toute l'efficacité. L'info fut tout juste relayée par quelques réseaux sociaux et certains des récipiendaires de cette 12 ème cuvée.
J'ai personnellement découvert l'existence de ce guide "alternatif" vers 2004. Son format magazine, son côté "on n'est pas un guide comme les autres", me donnait plus l'impression de lire un "Guide du Routard illustré", plutôt que le déclamant guide "qui paie ses notes", sensé "déniaiser la gastronomie". Pas suffisamment pertinent à mes yeux pour y succomber, je me suis contenté de le feuilleter d'un oeil distant quand je tombais dessus...
Il est vrai que la concurrence des guides (se résumant aux Gros Rouge & Jaune, puis les autres) laissait de la place à un acteur réellement indépendant, plus à même de faire connaître des tables ignorées (volontairement ou non) par les deux poids lourds de la place, sans venir grossir inutilement les rangs des petits guides de publi-reportages échangeant "bon billet contre table ouverte"...
Force est de constater qu'une décennie après, Fooding est encore là, mais que sa force de frappe et de prescription est toujours aussi ridicule sur le plan national. Un rapide sondage, auprès de français normaux (je connais beaucoup de personnes pour qui un dîner au Buffalo Grill équivaut à une soirée au Moulin Rouge pour un japonais !!), révèle que Fooding : "Jamais entendu parler..."
Alors, c'est bien la peine de vouloir déniaiser la gastronomie, faudrait peut-être commencer par développer votre lectorat en dehors du Verre Volé !!
Passons à la lecture de ce guide 2012 au tarif plutôt doux (9.90 €) par rapport à celui du Rouge (24 €) et du Jaune (29€). D'un côté, 900 adresses pour Fooding, quand Le Rouge en aligne 3300 et Le Jaune écrase tout le monde avec ses 3800 chefs toqués. Soit un tarif moyen de 1 centime par adresse pour notre guide décalé, quand les dinosaures affichent un tarif moyen de 0.7 centime par table pour Le Rouge et 0.8 centime par enseigne pour Le Jaune (hors hôtels et chambres d'hôtes pour ces deux derniers). Une conclusion à la M6 (c'est vrai, pourquoi toujours taper sur TF1 ?) ferait conclure à un guide élitiste en terme de rapport quantité/prix...
Plongeons à l'intérieur du "déniaiseur élitiste" (C'est M6 qui l'aurait dit, donc c'est tout comme). 3 doubles-pages consacrées aux partenaires, "respectueux de l'éthique", avant de tomber sur l'édito d'Alexandre Cammas. Ce dernier fait le teaser des 3 éditos suivants, réaffirme ne pas bosser pour les blaireaux touristes, bombe le torse avec ses 60 000 téléchargements de l'appli "Aïephone", tape sur son poitrail pour annoncer le portage sur Android... Je consulte à nouveau la couverture. Ouf, ce n'est pas un magazine d'informatique, j'ai douté un instant...
Puis vient le casting des contributeurs. La répartition géographique est digne d'une carte de "commerciaux en force de vente de sirop contre la toux pour caméléons albinos". Les plus chanceux se cognent un seul arrondissement parisien, quand les tricards doivent faire le grand écart entre la capitale et les bouseux régions. Une pensée émue pour Dominique Hutin, qui a l'immense chance de se voir confier l'exclusivité du Calvados, La Manche et L'Orne... et rien d'autre. Y'a des chouchous à la rédaction, ça se sent !!
Je passe rapidement sur les 3 "portraits crachés", exercices de style plus ou moins réussis, décryptant les travers des acteurs de la cuisine d'aujourd'hui (largement mise à l'honneur par Fooding). J'y vois une forme aboutie d'autodérision des auteurs, à moins qu'ils ne soient aveuglés par leur propre jugement !! Le billet du "vieux de la bande", Patrick Astor, délivre quelques fulgurances accrocheuses mais se perd aussi dans "le retour aux fondamentaux de la cuisine".
Je feuillette toujours. Tiens, une pub "Georges Duboeuf", y'a pas à dire c'est du partenaire de poids !! Une succession de photos "brutes mais soignées", où l'on prône le "tartare de cheval", le "foie gras cru", le "boeuf maturé 6 semaines", les "pousses-pieds au naturel" pour faire "roots" et parler une nouvelle fois du Verre volé...
Le palmarès comporte 10 prix, dont un pour le "meilleur livre de cuisine", ainsi que celui du "meilleur décor". C'est pas les César, mais je ne désespère pas voir un jour le "Fooding de la plus belle trancheuse à jambon posée sur un comptoir"...
Pour les prétendants à un éventuel prix, sachez que l'édition 2012 a récompensé 7 parisiens et un banlieusard, sur les 10 trophées disponibles !! Seuls un cht'i (Meilleur Délirium), un marseillais (Meilleur Bistrot ex-aequo, faut pas déconner non plus) et un corse (Meilleur retour de pêche, trop facile là-bas !!) se sont glissés dans le tableau d'honneur.
Un glossaire, un peu lourd, indique les différents concepts et catégories dans lesquels le guide a rangé les adresses recommandées. C'est ultra-urbain, illustré par des logos pas très explicites...
Un peu plus "équilibré" que le palmarès ci-dessus, Le Fooding a le "courage" de consacrer la moitié de son guide à Paris et sa petite couronne. Eh oui, vous ne le saviez pas, mais la moitié des bons restos de France ont eu la bonne idée de s'installer dans une ville où l'on trouve un autocar après 19h00 !! Aussi, toi le provincial ignorant qui te promène, insouciant, dans les rues de la capitale, tu n'imagines même pas le nombre de "néobistrot-dînette-miniprix-trop bon-feeling" qui te tendent les bras dans un périmètre guère plus grand que les zones commerciales de Kervidanou 2, 3 et 4...
Chaque arrondissement est passé au peigne fin. Pas une seule "cave à manger", "bar à soupes", "cantine éthiopienne" ne manque à l'appel. Côté banlieue, ça se gâte déjà. Les Hauts-de-Seine comptent 16 adresses, la Seine-Saint-Denis 7 (dont 5 à Montreuil, nouveau fief de "la tribu des trottinettes - Abercrombie&Fitch - coupe de cheveux à la Beigbeder"), la Seine et Marne une seule.
Passons à l'autre moitié du guide : le reste de la France. Les critères de sélection restent presque les mêmes. Il faut toujours être soit "feeling", soit "trop bon", soit "néobrasserie". Les bonnes cuisines exotiques semblant plus frileuses à s'installer au-delà de la RN 104, "italien", "coréen", "indien" sont facilement remplacés par "terroir".
La carte semble suivre les dessertes TGV et les grands flux migratoires des franciliens vers l'eau salée. La Haute & Basse-Normandie ainsi que la Bretagne cumulent 57 recommandations, quand Lyon avec ses 20 repères est devancée par Marseille et ses 27 accessits (soit pour cette dernière, autant que le seul 9 ème arrondissement de Paris !!). Nouvelle pensée pour Dominique Hutin qui n'aura mangé que 14 fois (soit 2 tables de moins que la seule ville de Toulouse !!), quand ses collègues parisiens doivent se partager, notamment, les 24 adresses recensées du deuxième arrondissement de la capitale...
Sur le plan régional, je découvre un japonais à Auray, y croise le très médiatisé "La Table Bzh Café" de Cancale, les belles tables "Henri & Joseph" de Lorient, "L'Auberge des Glazicks" de Plomodiern, ou encore la filiale maritime du "Bistrot de L'Ecailler".
Plus loin, je retrouve "L & Lui", le bon bistrot "Autour d'un cep"... Un doux mélange de références à la Pudlo, louchant sur le jeune mais solide "Carnet de route" de L'Omnivore. Les textes, se voulant sûrement décomplexés, ressemblent plus à des argumentaires de pubards pour un client régional qui veut monter au national avant la météo d'Evelyne Dhéliat... Quant aux mini-traductions (tips in english), résumant la tirade pour les anglophones, ça sent le Google Translate à plein nez pour le non "fluent" que je suis.
Au global, Fooding est un Guide du Routard un peu plus travaillé, fainéant quand il s'agit de sortir de la ville, assez populaire pour trouver un public pas spécialement friqué, un peu à la ramasse pour servir de réel prescripteur de vin (même s'il ressasse sans cesse sa découverte du Verre Volé, c'était il y'a 11 ans, d'autres on fait au moins aussi bien depuis... ailleurs), qui cultive une branchitude aussi exaspérante que ridicule avec ses cuistots tatoués, ses légumes au naturel, son glossaire énervant... Même si les éditos affirment le contraire, le ton reste "bitume, nature & branchitude font bon ménage".
Aussi je conseille très fortement ce guide pour les touristes détestant se faire pigeonner par "les brasseries spécialistes en décongélation". Ils trouveront de quoi largement bien manger sans se faire systématiquement matraquer, s'ils évitent les "caves à manger" à 50 € le déjeuner et les menus uniques à 70 € au dîner... Après, si le guide a décidé de rester dans cette niche mêlant faux-populaire et vrai-élitisme, qu'il ne change rien, il est en plein dans la cible...
Guide Fooding Paris & France 2012
9,90 € dans tous les kiosques de Paname. A la Maison de la Presse du coin, entre Biba et Bilto pour les autres...